Pourquoi n'avons-nous pas encore atteint la paix au monde?
Qu'est-ce que cela nécessiterait?
A quoi devrions-nous y attendre?

2006/09/23

Asabiya, ou la confiance des civilisations d'elite

Méditations sur La guerre et la paix et la guerre par Peter Turchin et Le Muqaddimah d’Ibn Khaldun (un homme dont le coeur était aussi vaste que l’esprit—si tu prétends retenir les mêmes dons, va le lire AUSSITÔT QUE POSSIBLE.)

Les empires historiques sont la méthode habituelle de maximiser la densité de population humaine. Cette population est maximisée à partir de son centre, son capital sinon ses villes centrales, et en dehors vers la périphérie où elle est moins dense. Les agglomérations ethniques diffèrent des empires du fait qu’elles ont (ont eu ; elles n'existent plus, pour la plupart, parmi nos sociétés urbaines modernes) des centres moins bien définis, davantage mobiles et diffus quant à leur densité de population.

La barrière interethnique que Peter Turchin décrit, c’est la ligne tracée entre deux ou plus de vagues d'extension de densité de population d'appartenance ethnique différente et incompatible (les appartenances ethniques compatibles tendent à s’entremêler : le plus dense absorbant les plus petits plus ou moins agressivement). Ordinairement, cette barrière se produit le long des périphéries moins peuplées de ces regroupements. Sa basse densité de population ne se voit augmentée que quand des armées impériales et des troupes ethniques de pillage la croisent ou la fortifient. Voici un secteur de haute mortalité : là où l'évolution culturelle est accélérée par la concurrence mortelle et la capacité de charge réduite. L’aboutissement de l'évolution dans ce plat de Pétri omnicidal, c’est une hausse spontanée de confiance mutuelle parmi les survivants (l'asabiya selon Khaldun, en plus des élaborations de Turchin). Parlant de façon comparative, voici qui serait une aberration sociale semblable aux bactéries apprenant comment pomper des antibiotiques de leurs cellules quoique cette dépense énergétique soit interdite dans des circonstances normales de concurrence mutuelle avec des organismes n’en étant assujettis. Cette aberration sociale (la confiance maximisée) permet aux plus petites populations de "barbares" de conquérir/absorber celui plus grand, bien qu’il soit mieux organisé, et de s'approprier de ses ressources (capacité de charge - terroir) réduisant la densité de population de l'adversaire en augmentant sa propre.

Bien que la densité de population humaine ait augmenté de façon décervelée à travers l'histoire - à tel point qu’elle en était capable - ceci n'était pas un bon inhérent. La densité de population au-dessous d'un certain seuil ne permet aucune résistance efficace contre des concentrations extérieures davantage denses - même si sa confiance sursaute (ainsi qu'elle le ferait inévitablement dans des petites conglomérations se concurrençant avec d’autres autant petites). Au delà d'un certain seuil, la densité de population des empires réussis excède leur capacité de charge (multipliée par la technologie contemporaine), la confiance se voit remplacée par des stratégies raisonneuses et les moralistes commencent à punir les saints sacrificatoires et promouvoir à leur place des gueux égoïstes (voir les définitions de Turchin), au lieu de l'inverse, en tentant de résoudre ce problème insoluble. Ceci ressemblerait à la réaction immunitaire hors de contrôle d’un organisme autrement sain. Ces hausses et baisses de confiance doivent autant bien être des aberrations situationnelles. À ce point, une vague moindre de densité de population, sa confiance en hausse spontanée, attaque et succède au plus dense dont la confiance serait en baisse.

Ce cycle sera répètera sans fin jusqu'à ce qu'une communauté au monde (empire lui serait une désignation inadéquate puisque les empires sont construits afin de combattre d'autres empires/ethnicités et il n'y aurait aucun autre tel pour confronter la communauté au monde dont nous parlons ici) trouve moyen de régler ses densités planétaires de population juste en dessous de la capacité de charge soutenable : chaque sous population dans sa propre biosphère. La civilisation est donc une série de tentatives maladroites, constamment raffinées par le désastre, à résoudre ce problème. Notre problème principal n'est donc pas le développement technologique, ni même la paix, mais le règlement volontaire des densités de population aux niveaux soutenables correspondant précisément à la capacité de charge multipliée par une technologie correctement appliquée (je puis dire appliqué de façon révérencieuse), de durée indéfinie. La stabilisation d’une confiance optimale au lieu de transitions rétroactives entre hausses et baisses et du chaos militaire en résultant.

Demeurent plusieurs problèmes : comment la confiance est-elle amplifiée et comment est-elle diminuée dans de grandes populations humaines ? Il semble plus facile résoudre la partie diminuante. Alors que des femmes appartenant aux peuples conquis ou aux empires en baisse témoignent de leurs familles natales massacrées et de leurs structures sociales détruites, qu’elles soient violées et asservies par les étrangers violents, que des nouvelles périodes de faim et de misère remplacent les périodes antérieures de suffisance nutritive et de paix relative, elles subiront des épreuves physiologiques de stress qui déformeront subtilement l’esprit de leurs enfants autant avant et qu’après leur naissance. De telles manifestations seront physiologiques et comportementales, augmentant le nombre d'enfants gueux égoïstes et réduisant les saints sacrificatoires, produisant des niveaux intensifiés de narcissisme, de comportement antisocial et d'effondrement social.

Rappelle-toi que nous parlons d’un très d'un grand nombre de gens à travers une longue étendue de temps. Turchin parle de ce genre de transition, de la confiance à l'égoïsme, comme prenant des centaines d'années pour chaque plein cycle dans une population donnée : plusieurs douzaines de générations. À une heure donnée, même ici et maintenant, d’innombrables femmes sont maltraitées et leurs enfants se développent endommagés par cet abus. Pourtant dans des conditions optimales et de façon idéale, une majorité de femmes demeurerait contentes (moins soumises aux contraintes) et ce contentement refléterait une récolte plus salubre d’enfants et des plus hauts niveaux de coopération sociale. Du moins aussi longtemps que la densité de population n'aurait excédé la capacité de charge multipliée par la technologie soutenable.

Comment est-ce, malgré tout, que les plus grandes manifestations historiques de confiance se sont produits parmi des tribus relativement mineures aux frontières interethniques – ce milieu meurtrier semblant optimiser la victimisation des femmes et corruption de leurs enfants ? La seule alternative semblerait etre l'arrivée de petites communautés agissant comme de vrais loups dans cette zone : infiniment adroits, brutaux et réussis quant à leurs attaques à l’encontre des étrangers, pourtant angéliquement bénin en ce qui concernerait leurs propres femmes et enfants. La manière dont ce paradoxe surgit (des groupes militaires puissants sont par nature abusifs de leurs enfants) je ne puis le reconnaître. Peut-être réside-t-il un niveau de stress social et de péril militaire au delà duquel l'augmentation dans l'abus d'épouses et d'enfants devient paradoxale, ainsi que des dosages massifs ou continus d'une drogue produirait des résultats opposés à ceux prévu ? Cette matière exige une étude intensive.

Le même peut être conclu concernant les niveaux réduits de confiance dans les vieux empires bien engraissés et en voie de diminution. Que s’agirait-il, au sujet de la fourniture de rations proportionnées, d'ordre social et de stresses réduits, qui réduirait les niveaux de confiance et les remplaceraient avec de l'égoïsme et du conflit social destructif ? En bref, pourquoi la paix globale corromprait-elle la vertu civique alors que la menace d'annihilation semblerait l’astiquer ? Cette matière exige des études encore plus intensives.